lundi 8 août 2016

"Résistance !", lu par Vivien d’Andrésy | revue "PROJET" (juillet 2016)

"Historiquement inspirées par des convictions philosophiques ou religieuses (Calvin, Thoreau), les pratiques de désobéissance civile prennent aujourd’hui un tour politique. Leurs auteurs seront, selon le journaliste, les héritiers directs de la Résistance, à condition de proposer des solutions alternatives à grande échelle, sans repli sur soi, au nom de l’humanité tout entière..."
Résistance !
Société |  Antoine Peillon |  Seuil, 2016, 318 p. / Par Vivien d’Andrésy | PROJET

Antoine Peillon, grand reporter à La Croix, est connu pour son ouvrage dédié à l’évasion fiscale, Ces 600 milliards qui manquent à la France (Seuil, 2012). Dans Résistance !, il nous confronte à ce paradoxe où, à l’heure de la surveillance de masse, une grande opacité règne en France dans le domaine du renseignement financier. Si cette opacité organisée a ainsi pu masquer d’éventuelles irrégularités dans le financement de la vie politique, elle a indirectement empêché certains services compétents de traquer le financement du terrorisme. Pourtant, de nombreuses structures proches de la mouvance des Frères musulmans et du salafisme se développent en France depuis vingt ans, distillent la propagande djihadiste au cœur des banlieues et sont financées par de riches individus, voire directement par des États du Moyen-Orient, ceux-là même avec lesquels les gouvernements français successifs font commerce, pour soutenir la croissance bien sûr !
Selon Antoine Peillon, c’est aussi dans un but « commercial » que les États victimes du terrorisme, des États-Unis à la France, utilisent la terminologie infondée de la guerre, qui alimente le cercle vicieux de la violence et de la guerre civile. Il reprend ici la thèse de Naomi Klein selon laquelle ces États et les lobbies qui leur sont proches organisent un « complexe du désastre », permettant à certains de s’enrichir par le business sécuritaire et à d’autres de contrôler toute opposition politique grâce à la mise en place brutale d’un contrôle, voire d’une dictature qui ne dit pas son nom : l’état d’urgence permanent.
C’est ainsi que, en France, pays des droits de l’homme, des militants écologistes ont été assignés à résidence pendant la Cop21, des parlementaires ont tenté de réintroduire la censure de la presse, l’on a étendu les pouvoirs de la police de manière drastique et renforcé la surveillance généralisée des citoyens. On voit ainsi l’avènement du « Security State », dénoncé par Giorgio Agamben, dans lequel aucune expression politique n’est possible, la négation même de la démocratie.
Analysant la montée de la violence dans notre société globalisée, qui s’expliquera par l’accroissement des inégalités et des formes d’exclusion, Antoine Peillon reprend les arguments de Jacques Généreux selon lesquels les dérives sécuritaires des démocraties s’autoalimentent dans une spirale de mensonges et de violences, intérieures et extérieures. Cette logique mortifère risque de déboucher sur une guerre civile mondialisée, prédite par Hannah Arendt et Carl Schmitt, qui verrait l’Orient prendre sa revanche, dans une forme terroriste, contre l’Occident.
Face à cette sombre prédiction, Antoine Peillon appelle à la résistance. Historiquement inspirées par des convictions philosophiques ou religieuses (Calvin, Thoreau), les pratiques de désobéissance civile prennent aujourd’hui un tour politique. Leurs auteurs seront, selon le journaliste, les héritiers directs de la Résistance, à condition de proposer des solutions alternatives à grande échelle, sans repli sur soi, au nom de l’humanité tout entière. C’est ainsi tout un programme politique général qu’A. Peillon nous propose à la fin de son ouvrage. Il appelle tout d’abord, au niveau national, à revenir au sens historique de la République comme « autogouvernement des citoyens associés ». Au niveau mondial, un cosmopolitisme rénové est à organiser dans ce village global qu’est la planète, en mettant au cœur de l’action publique l’écologie, la justice sociale, le « buen vivir ». Mais ces bouleversements politiques ne sauraient advenir sans une révolution des imaginaires. A. Peillon évoque ainsi une nécessaire transition culturelle et morale qui disqualifie le culte de l’argent, de la croissance et de la concurrence. Ce faisant, il jette les bases d’une nouvelle anthropologie humaniste, celle du citoyen engagé, moteur de changement, résistant, « irremplaçable » (Cynthia Fleury), aux antipodes de l’homo œconomicus, consommateur sans âme ni identité, que certains souhaitent produire à la chaîne. Nourri de nombreuses références historiques, Antoine Peillon veut ainsi éclairer l’actualité et l’avenir ! Parce que « résister, c’est créer », il ouvre ainsi des perspectives d’espérance.

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